Faire revivre la démocratie universitaire

Pointée dans son dernier rapport par le HCERES comme un point faible, la « gouvernance » de notre université est un sujet que les prochains élus ne pourront pas esquiver. Dans la continuité du mandat actuel, les listes Inspire de F. Berrod ignorent le sujet. Quant aux élus Refonder, ils pointent de graves manquements démocratiques, mais ne proposent guère de solution. Les listes Au pluriel, portées par Mathieu Schneider, sont attachées à notre organisation en 35 composantes. Elles proposent, dans ce cadre, de remédier aux faiblesses de l’organisation actuelle, en associant plus étroitement les composantes et unités de recherche à l’élaboration de nos politiques universitaires et en revitalisant la démocratie universitaire dans nos instances.

Une démocratie universitaire à faire vivre dans les faits

Les universités font partie de cette catégorie d’établissements publics dont le statut permet de faire vivre la démocratie. Les élections du mois de février en sont la preuve : chaque catégorie de notre large communauté de près de 65 000 personnes désignera ses représentants dans les conseils centraux, et ces conseils éliront l’équipe de présidence. C’est une chance (qu’on ne mesure que trop peu) quand on sait que dans de nombreux établissements publics, y compris dans le champ de l’éducation et de la recherche, les dirigeants sont nommés par le Ministre. Il existe donc bel et bien une « démocratie universitaire » dans les textes. Notre responsabilité est de la faire vivre dans les faits.

Gouvernance ou vie démocratique ?

Le terme de « gouvernance » provient du vocabulaire managérial anglo-saxon des années 1970 (on parlait alors de corporate governance). Le fait qu’il soit aujourd’hui largement utilisé dans le monde universitaire français (HCERES, IGESR*…) est révélateur d’une transformation profonde de l’exercice de la démocratie dans les universités. S’il faut bien reconnaître que ce terme est commode, car il désigne en un mot (valise) la manière d’organiser les circuits de décision au sein d’une structure collective, privée ou publique, il ignore le cœur même de la démocratie : à savoir le débat d’idées. Aussi, dans nos listes Au pluriel, préférons-nous parler de « vie démocratique », car c’est bien de cela qu’il s’agit dans une université.

La liberté de parole comme clé de voûte de la vie démocratique

Des Landsgemeinden d’Appenzell à l’Assemblée nationale française, on constate que les formes que prend la démocratie moderne sont multiples. Pourtant la démocratie repose sur des fondements que la Grèce antique a posés. Elle n’est pas que le pouvoir donné au peuple par sa représentation au sein d’assemblées élues. Elle repose sur deux autres notions-clés qui conditionnent le fonctionnement de ces assemblées : la liberté de parole (parrhêsia) et la délibération.

La liberté de parole est la clé de voûte de la démocratie. Elle présuppose non seulement la liberté d’opinion, mais surtout le respect de la diversité des points de vue et leur confrontation. C’est cette confrontation que l’on nomme « délibération ». Le glissement de sens que ce terme a connu – désignant aujourd’hui souvent la décision elle-même – est révélateur de la manière dont notre siècle envisage la démocratie : comme la décision prise par une majorité sous (le seul et abusif) prétexte qu’elle est majoritaire ou, pire, qu’elle a le pouvoir !

Là où il n’y pas de débat contradictoire, il n’y a pas de démocratie.

Une démocratie universitaire en berne, qu’il faut raviver

Nos listes Au pluriel n’ont pas choisi leur nom au hasard : la pluralité qu’elles revendiquent est d’abord la pluralité de parole, reflet de notre propre diversité et moteur de notre démocratie. Ce choix va de pair avec trois convictions :

  1. Assumer qu’il existe une pluralité d’opinions au sein de l’université et respecter chacune d’entre elles ;
  2. Prendre collégialement des décisions après avoir fait vivre le débat contradictoire (la « délibération » au sens antique) ;
  3. Respecter le caractère représentatif de la démocratie qui donne mandat aux élues et aux élus pour porter la voix de celles et ceux qui les ont désignés.

Nos conseils centraux ont vécu dans les dernières années une démocratie de façade : les décisions étaient préparées par l’équipe en place et portées à la seule approbation d’un conseil. Si cette manière de procéder a l’avantage de la rapidité, elle néglige le débat. A contrario, si la décision s’élaborait en conseil, on courrait le risque de réunions à la durée excessive.

Face à ce problème, nous avons identifié trois leviers pour raviver la démocratie universitaire :

  1. La méthode ;
  2. Les relations entre nos instances ;
  3. La promotion de la liberté académique.

Une nouvelle méthode qui prend le temps de l’écoute et du débat

Sur la méthode, nous proposons d’instruire préalablement les décisions mises au débat des conseils dans des organes paritaires composés d’acteurs de terrain et de représentants élus, dans un climat d’écoute réciproque et de débat constructif. Par ailleurs, nous nous engagerons à venir, à chaque fois que cela est possible, avec des propositions de décisions scénarisées (c’est-à-dire offrant au moins une alternative). Cela permettra d’engager un débat sur la base de différentes options, issues de discussions préalables et concertées. Nous sortirons ainsi de la vision binaire d’une décision (oui/non), souvent vécue comme un plébiscite.

Il est vrai que cela demandera aux décisions d’être plus longuement préparées. Dans une société du temps court et contraint, l’exercice ne sera ni facile ni toujours possible, mais en ce qui concerne les décisions de fond, cela nous semble un préalable indispensable.

Dans ce contexte, le dialogue social avec l’ensemble des organisations syndicales, dans des réunions régulières, est un corolaire à ce mode de fonctionnement, garantissant à la représentation des personnels et des étudiants la possibilité de réagir sur des décisions à venir.

De nouvelles relations entre nos instances

La démocratie doit vivre du débat contradictoire, mais aussi de circuits décisionnels qui garantissent la collégialité et la prise en compte des avis de tous les représentants élus dans un domaine donné. La multiplicité des organes dans notre système universitaire (conseils de composantes/unités, conseils centraux, conseil de présidence), diffractée dans l’ensemble des 35 composantes et plus de 70 unités de recherche, complexifie le système. Il s’agit de garantir une indépendance et une représentativité de chacune de ces assemblées délibérantes. Les listes Au pluriel proposent ici quelques pistes concrètes d’évolution.

Une présidence propre au conseil académique

Nous proposons de donner au conseil académique, qui est la plus large instance représentative de l’université, une plus grande autonomie en lui octroyant une présidence propre. Dans nos statuts, c’est le président de l’université qui a la double casquette d’assurer la présidence du conseil d’administration comme celle du conseil académique. Le code de l’éducation1 dispose que le président (ou la présidente) du conseil académique n’est pas forcément le président de l’université et qu’il peut être élu selon des conditions précisées par les statuts de l’université. Il est donc possible de faire élire un président (ou une présidente) qui préparera et animera les débats du conseil académique. La condition d’un bon fonctionnement de l’établissement est que la présidence du conseil académique soit représentée dans ce qui est aujourd’hui le « conseil de présidence » (réunissant le président de l’université, ses vice-présidentes et vice-présidents, le cabinet et la direction générale des services), afin de préparer de manière concertée les délibérations du conseil académique. Le président de l’université restera celui dont la responsabilité est de faire émerger et de porter la vision stratégique.

Associer les composantes et unités à l’élaboration des décisions

Le constat est fait par une très large majorité des directrices et directeurs de composante que leurs réunions régulières en « conférence des doyens » sont des séances d’information plus qu’un lieu permettant l’échange et la proposition de nouvelles mesures. Pour redonner aux composantes (et, avec elles, à leurs conseils) une place dans l’élaboration des mesures, il convient de réformer en profondeur le fonctionnement de cette conférence des doyens.

En la dotant d’un bureau, composé de deux représentants des directeurs (un homme et une femme issus de deux domaines disciplinaires différents), entourant le vice-président Formation et renouvelé chaque année, on permettrait que soit établi un ordre du jour qui viendrait tant des doyennes et des doyens eux-mêmes que de la présidence. Cette conférence pourrait donc devenir force de proposition et retrouver une place dans l’espace démocratique de l’université. En procédant ainsi, on élaborerait une politique de formation associant les structures qui y sont quotidiennement impliquées : à savoir les composantes.

Il pourrait en aller de même pour la recherche, dans une approche similaire mais avec une organisation différente, par secteur de recherche, étant donné le très grand nombre de structures (plus de 70). Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ces propositions lorsque nous présenterons l’ensemble de notre programme.

Réorganiser l’actuel « conseil de présidence »

Ces changements dans notre organisation impliquent de réorganiser l’actuel « conseil de présidence ». Il devra s’élargir et devenir un « comité de direction de l’établissement » qui rassemblera les représentants des différentes instances et qui permettra le dialogue entre ces dernières : un représentant de chacune des conférences (doyens et directeurs d’unité) et le président (ou la présidente) du conseil académique. Le comité de direction de l’établissement pourrait aussi inclure la vice-présidence étudiante du conseil académique dont le rôle aujourd’hui est trop peu défini. Cet élu (ou élue) pourrait porter la voix des étudiants auprès de la direction, en contrepoint à la vice-présidence Vie universitaire. Cette dernière continuerait d’échoir à un ou une étudiante qui, en soi, est responsable d’un domaine d’activités et non là pour porter la voix de la communauté étudiante.

Pour inclure toute la communauté, il est nécessaire d’envisager également une représentation des BIATPSS au sein du comité de direction de l’établissement, issue elle aussi du conseil académique et après une élection en son sein.

Seraient ainsi représentées dans le comité de direction de l’établissement, présidé par le président de l’université :

  • Toutes les instances représentatives de l’université (conseil académique, conseils de composante/unité par le truchement de leurs directeurs et directrices) ;
  • Toutes les catégories de personnels et les usagers.

En instaurant de nouvelles méthodes d’animation de ces instances, la démocratie universitaire retrouverait ses trois piliers : la représentation, la liberté de parole et la délibération. Cela permettrait de conserver le modèle actuel à 35 composantes tout en associant mieux l’ensemble des acteurs internes de l’université à l’élaboration de la politique universitaire. Notre modèle gagnerait en collégialité sans perdre en efficacité.

La liberté académique, fondement du système démocratique

Faire vivre de cette manière la démocratie universitaire, c’est garantir l’indépendance des choix de l’institution. Certes ces choix sont contraints par la réglementation et par l’agenda politique de la tutelle, mais ils restent fondamentalement ceux de la communauté. En ce sens, démocratie universitaire et liberté académique sont intimement liées.

Des actions concrètes pour se protéger d’un possible régime autoritaire

Défendre la liberté académique, c’est d’abord agir en interne pour garantir les droits qui en dépendent, notamment la liberté de recherche, la liberté pédagogique et l’autonomie institutionnelle des établissements. Or c’est justement au sein du conseil académique et dans les composantes que se décident les politiques de recherche et de formation. Garantir à ce conseil une plus grande autonomie, c’est donner à la communauté et à ses représentants la possibilité de faire leurs propres choix. Permettre aux composantes et aux unités de recherche de participer à l’élaboration de la politique universitaire, c’est là aussi aller dans le sens de la liberté académique. Les propositions que font les listes Au pluriel sont donc aussi des actions concrètes visant à renforcer la liberté académique au sein de l’institution.

Mais il y a plus ! Si d’aventure un parti politique non démocratique arrivait au pouvoir et voulait renforcer son emprise sur les universités, il est fort probable que l’une des premières mesures qu’il prenne soit de nommer les présidents d’université. Cette mesure est déjà en vigueur dans certains pays (Turquie, Hongrie…). Découpler la présidence de l’université de celle du conseil académique permet d’installer un contre-pouvoir de la communauté universitaire et de préserver une forme relative d’autonomie.

L’évolution récente du monde occidental nous invite, dans ce domaine, à la plus grande prudence et à une anticipation lucide et volontariste.

L’exercice de la démocratie au cœur de la formation des jeunes

Parce que nous sommes un lieu de formation, nous avons aussi la responsabilité de promouvoir la démocratie dans notre pays. On se plaint que nos démocraties occidentales soient en crise. Mais quel exemple donnons-nous dans nos écoles et dans nos universités ? Si nous ne laissons pas nos étudiantes et étudiants manifester (dans le respect évident des personnes et des biens), si nous ne les laissons pas se réunir pour débattre (dans la limite de la disponibilité de nos locaux), si nous n’acceptons pas de dialoguer avec eux, si nous appelons les forces de l’ordre sitôt la première banderole levée, comment la démocratie peut-elle continuer de vivre ? Comment les partis démocratiques ont-ils de la relève ? Comment les discours anti-démocratiques peuvent-ils être perçus comme tels ?

On n’éduquera pas les jeunes à la démocratie à coup de cours d’éducation civique, mais en leur donnant l’opportunité de l’exercer. On ne fera ainsi que renforcer l’engagement de nos jeunes et, ce faisant, fortifier le sentiment d’une communauté. Cela devra être couplé par une politique forte et volontaire de soutien et de reconnaissance de l’engagement des étudiants dans tous les parcours de formation.

Un comité d’éthique et de la liberté académique

La liberté académique doit s’inscrire dans le fonctionnement de notre université. Elle doit aussi être garantie par une instance au sein de l’université. Notre proposition est que l’actuel comité d’éthique, qui s’intéresse surtout aux questions de la recherche biomédicale, élargisse son périmètre à tous les secteurs de recherche et à l’ensemble des activités de l’université, et qu’il inclue aussi la protection de la liberté académique. Nous allons donc bien plus loin que la simple charte d’éthique que proposent F. Berrod, M. de Mathelin et les listes Inspire. Il ne s’agit pas seulement de poser un cadre à l’action, mais aussi de répondre à l’impérieuse nécessité d’agir.

***

Il n’y aura de communauté universitaire unie, il n’y aura de politiques fortes et fédératrices, il n’y aura de dialogue social constructif, il n’y aura de fonctionnement collégial et efficace de nos instances que si nous garantissons une vitalité démocratique à notre université. Les mesures décrites dans cet article ont l’avantage de ne rien coûter : elles sont un nécessaire et précieux investissement d’avenir !

L’équipe Au pluriel

13 novembre 2024

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* L’IGESR est l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche.

1 Article L712-4 : « Les statuts de l’université prévoient les modalités de désignation du président du conseil académique, qui peut être le président du conseil d’administration de l’université, ainsi que de son vice-président étudiant. »

2 Du grec auto et nomos, qui se régit par ses propres lois.

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