Formations : une pause pour réfléchir collectivement
Notre université vient de mettre en place sa nouvelle offre de formation, qui aura cours jusqu’en 2029. Le mandat qui nous engagera pour les quatre prochaines années devra donc être celui du temps long et de la réflexion collective sur les enjeux auxquels nos formations auront à faire face. Car notre environnement évolue sans cesse : la réforme du lycée, la concurrence grandissante du secteur privé et l’arrivée massive de l’intelligence artificielle générative en sont les éléments les plus visibles. Mais de nombreux secteurs, comme ceux de la santé et de l’enseignement, seront confrontés à des problèmes structurels de recrutement qui posent, au-delà de la question du nombre de diplômés, celle de leur qualité. Les listes Au pluriel exposent dans cet article les différents enjeux et tracent des perspectives qui devront guider la réflexion de toute la communauté universitaire sur l’avenir de nos formations.
De nouveaux profils de bacheliers : une L1 à réinventer
Nos étudiantes et nos étudiants changent. Les générations successives sont porteuses de nouveaux codes sociaux, de nouvelles aspirations, de nouvelles manières de penser. Si nous affirmons qu’il est de notre devoir d’accompagner ces aspirations, nous ne devons pas pour autant être dans une approche clientéliste ou servile à l’égard de nos étudiants. L’institution universitaire tire sa force des savoirs fondamentaux et évolutifs qu’elle transmet ; elle tire sa longévité de sa capacité à les mettre en dialogue avec les aptitudes et les attentes des jeunes.
La réforme du lycée a constitué un tournant majeur, puisqu’elle a créé des profils de bacheliers moins normatifs. Les avantages de cette réforme sont une polyvalence et une curiosité accrues des nouveaux bacheliers ; à l’inverse, les connaissances disciplinaires de ces derniers sont moins solides ou plus diffuses. Plus que jamais la transition entre le lycée et l’université doit être repensée. D’abord parce que l’abandon ou l’échec en première année ne doit pas être vécu comme un échec dans l’institution, qui conduirait à une peur de l’université ; ensuite parce que l’entrée à l’université ne doit pas être vécue comme un « choc », mais comme une opportunité et une envie ; enfin parce que nous avons besoin de construire des parcours exigeants sur des connaissances solidement ancrées.
ParcourSup a mis en place un système qui n’a pas fait ses preuves : outre la sélection inutile dans des filières non « sous tension » et pour lesquelles le travail de nos collègues est chronophage, les cours de remédiation pour les « oui si » n’ont pas résolu le problème de l’échec à l’entrée de l’université. Partant de la réforme du lycée, c’est peut-être toute notre construction de la licence qu’il faut revoir. Une des pistes est que la première année devienne une « année-passerelle » où les savoirs fondamentaux sont posés et consolidés pour tous les étudiantes et étudiants, avant que ne s’élabore, dans les deux années suivantes, un savoir académique solide. Il faut lever le tabou de la connaissance qu’a posé, lorsqu’elle est trop rigoriste, l’approche par compétences. Sans connaissances, point de compétences ! Parallèlement, les compétences universitaires de base – l’argumentation, la rigueur de la formulation, la pensée critique – doivent être acquises par tout le monde et devenir l’ADN de tout diplômé de l’université. Cela implique de renforcer le travail en groupes dans une approche moins descendante, plus participative, plus dialogique et plus argumentative. Cela n’implique pas forcément toujours une pédagogie « innovante », mais d’abord une pédagogie efficace, adaptée et dont l’enseignant a conscience.
L’académique comme antidote à la concurrence du privé
La concurrence des formations universitaires privées est une réalité que notre ministère prend très au sérieux (voir les déclarations récentes de notre ministre), et ce depuis plusieurs années. Outre la régulation qu’il peut imposer, il importe que les universités aussi s’emparent du sujet.
Face à cette concurrence, qui propose des formations directement professionnalisantes et parfois accessibles sans passer par ParcourSup, nous avons deux alternatives :
- Courir derrière elles et jouer nous aussi la course de l’hyper-professionnalisation (c’est l’avis de certains spécialistes comme D. Sciamma dans son interview récente dans News Tank) ;
- Renforcer notre identité académique en tablant sur l’acquisition de savoirs solides et mobiles.
Nous pensons que la deuxième solution est la meilleure, car elle correspond à ce que nous sommes et ce qui nous différencie du privé : à savoir le lien avec la recherche qui produit les savoirs et la capacité à penser, c’est-à-dire à mettre en relation de manière critique et à argumenter de manière éclairée et contextualisée. C’est ce que nous nommons l’ « académique ». Face à la tentation de suivre de trop près les évolutions des branches d’activité professionnelles, il est crucial de garder une sage distance et de défendre l’indépendance académique et la diversité des formations universitaires qui en découle. Pourquoi demander à un collègue spécialiste de droit du sport, de hongrois médiéval ou de nouveau management public de ne pas enseigner principalement sa discipline si nous l’avons recruté pour cela ? C’est cette richesse qui fait notre force et qui nous différenciera toujours de toute autre formation non universitaire. Assumer la spécialisation disciplinaire et un savoir approfondi doit aller de pair avec une curiosité intellectuelle qui amène les étudiantes et les étudiants à être mobiles dans leur parcours professionnel.
Là où l’hyper-professionnalisation enferme dans un métier et rend difficile toute reconversion ou évolution, l’académique, couplé à une politique volontariste de formation continue qui, elle, répond aux besoins des salariés et des entreprises, garantit un socle de connaissance et des compétences intellectuelles qui rendent le diplômé compétent et polyvalent. Qui peut prédire ce que seront les métiers en 2060 ou 2070, date à laquelle les étudiants d’aujourd’hui iront à la retraite ? Plutôt que de vouloir à tout prix connecter une formation à un métier, apprenons à nos jeunes à apprendre, à comprendre et à penser. Ce sont là les seules garanties d’une insertion professionnelle durable. Une articulation bien pensée entre des licences qui garantissent ce socle et des masters qui donnent des compétences dans un champ professionnel assez large, telle est la voie vers laquelle nous souhaitons orienter la réflexion.
Ecoles et IUT : un accompagnement spécifique dans un système plus décentralisé
La faiblesse du système universitaire français est aussi sa force : les universités proposent à la fois des formations académiques traditionnelles et des formations très professionnalisantes, notamment dans nos IUT et nos écoles. En Allemagne par exemple, ces formations professionnalisantes sont confiées à des Fachhohschulen (écoles supérieures spécialisées), qui ont des modes de fonctionnement et de financement spécifiques. Le système français intègre ces formations aux formations « académiques » au sens étroit du terme. Dans notre projet de décentralisation et de plus grande liberté donnée aux composantes, nous souhaitons pouvoir accompagner, dans les moyens et les infrastructures, les formations professionnalisantes de notre université au mieux de leurs objectifs. Le système centralisé et normatif actuel est un frein à leur développement dans un écosystème qui leur est propre et qui est concurrentiel. Cela concerne à la fois leur modèle économique, plus fortement basé sur l’alternance – où nous devrons défendre le maintien des NPEC à un niveau financier soutenable –, et les liens privilégiés avec les secteurs économiques. Nous aurons à prendre en compte aussi des enjeux territoriaux, notamment pour nos IUT, et les accompagner dans une mise en réseau avec les secteurs économiques, qui établissent un continuum de la formation à la valorisation et à la connexion des savoirs. Des perspectives prometteuses sont déjà en vue en Alsace du Nord avec l’IUT de Haguenau et les réseaux comme Résilian ou Savoirs vivants. Le maintien et le renforcement des formations sur le site de Sélestat devrait nous permettre de faire le pendant en Centre Alsace. A travers ces formations essentielles à l’écosystème local, nous porterons un ancrage professionnel et territorial plus large et plus solide.
La dimension éthique et citoyenne de l’enseignement universitaire
Les transformations de la société ne se limitent pas aux aspects techniques et économiques. Elles touchent également les valeurs, les normes et les aspirations collectives. Dans ce contexte, l’université a une responsabilité éthique et citoyenne. Elle doit former des individus conscients de leur impact sur la société et l’environnement, capables de porter un regard critique sur les dynamiques de pouvoir, sur les inégalités et sur les injustices. Cela nécessite une attention particulière à l’enseignement des questions de démocratie, de droits humains, de développement durable et de responsabilité sociale des entreprises. Ces thématiques ne doivent pas être marginales, mais au cœur des formations, pour que les diplômés deviennent des acteurs du changement, éclairés et engagés. Elles ne passent pas tant par des savoirs que par des savoir-être. C’est dans des ateliers collectifs de discussion sur des cas pratiques, dans la confrontation avec le réel dans des mises en situation professionnelles ou dans la pédagogie par projet que nous trouverons une réponse à ces enjeux. Et certainement pas en ajoutant des UE additionnelles « cosmétiques » qui entendent traiter de compétences informatiques, environnementales ou des questions de harcèlement et de violence. Il y a bien sûr quelques notions de base à inculquer, mais c’est bien plus dans l’étude de cas argumentative, dans l’échange collectif et dans l’expérimentation de terrain que ces aspects citoyens, sociétaux et éthiques s’acquièrent.
Interdisciplinarité et pluridisciplinarité
L’interdisciplinarité dépasse les frontières des disciplines académiques pour analyser et résoudre des problèmes complexes de manière globale. Elle favorise la collaboration entre différents domaines de connaissance, chacun apportant ses méthodes, concepts et outils pour générer de nouvelles perspectives et produire des savoirs inaccessibles par une discipline seule. Cette approche est particulièrement utile pour traiter des enjeux globaux tels que le changement climatique, la pauvreté, les conflits géopolitiques ou la transformation numérique. Mais il ne saurait y avoir d’interdisciplinarité sans un socle disciplinaire fort. L’interdisciplinarité ne se décrète pas, elle se construit naturellement.
Pour la susciter, il nous faut aiguiser la curiosité plutôt que diluer des savoirs. Cela signifie que la vision disciplinaire ne doit pas s’enfermer dans elle-même, mais s’ouvrir ver l’extérieur à travers la prise en considération d’enjeux (plus qu’à travers une autre discipline en soi), que les étudiantes et les étudiants devront être capables d’appréhender dans leur complexité. Cela nécessite une ouverture de nos disciplines sur le monde et un dialogue continu entre le monde académique, les acteurs économiques, les institutions publiques et la société civile. Cela préparera les étudiants non seulement à des métiers existants, mais aussi à des métiers en constante transformation voire en devenir. Cela implique de repenser les programmes d’enseignement en mettant l’accent sur la capacité d’adaptation, la créativité, l’esprit critique et la collaboration pour permettre aux étudiants de se confronter aux réalités du terrain. Cette ouverture vers l’interdisciplinarité permettra de générer des innovations théoriques ou pratiques, en intégrant des perspectives variées qui ouvrent de nouvelles voies d’investigation.
La pluridisciplinarité sera au cœur des débats sur la formation dans les prochaines années, en lien avec la réforme du lycée et l’apparition de socles de connaissances et de compétences pluridisciplinaires. La généralisation de licences pluridisciplinaires est certainement peu souhaitable si l’on souhaite garder une spécialisation disciplinaire suffisante en master pour la préparation aux métiers de la recherche ou de l’enseignement et à des métiers pointus dans de nombreux secteurs. Pour autant, s’en priver totalement serait une erreur car certains étudiants – par exemple ceux qui choisissent les classes préparatoires – sont désireux d’une connaissance plus large d’un domaine pour élever leur regard. Cela doit toutefois passer par une spécialisation en troisième année de licence au plus tard afin de faciliter ensuite la poursuite d’études en master disciplinaire.
Les enjeux de la santé et les mutations sanitaires
L’université a également un rôle unique pour préparer les professionnels à répondre aux défis sanitaires mondiaux. Face à des crises telles que les pandémies, les inégalités d’accès aux soins, le vieillissement de la population et les nouvelles maladies, il est essentiel de former des acteurs de santé capables de s’adapter aux évolutions rapides des pratiques médicales et aux besoins diversifiés des populations. Cet enseignement doit intégrer des compétences en sciences, mais aussi en gestion, éthique, prévention et promotion de la santé. En outre, il doit encourager une approche globale et interdisciplinaire, en prenant en compte les déterminants sociaux et environnementaux de la santé. L’université, en tant que lieu de formation et d’innovation, est ainsi un acteur-clé pour préparer une réponse efficace et solidaire aux enjeux de santé de demain.
Elle a déjà préparé le terrain avec la mise en place de la licence Santé, qui a ouvert le profil de nos jeunes et leur permet de ne pas perdre les années de préparation au concours en cas d’échec. Elle devra répondre dans les prochaines années au défi du recrutement de médecins qui vont massivement partir à la retraite. Un renforcement des effectifs d’encadrement de nos formations est nécessaire si nous voulons avoir dans le futur des professionnels de santé en nombre et en qualité suffisante. C’est cette position que nous défendrons au plan national si nous sommes élus.
Former des enseignants de qualité
La formation des enseignants échoit à l’université à travers les INSPE qui y sont intégrés. Ce système universitaire est indispensable à une formation solide de nos enseignants. Nous y sommes attachés et le défendrons. Face à la réforme de la formation des enseignants du premier et du second degré qui était sur le point de passer au printemps dernier, les listes Au pluriel seront attentives à ce que le socle de connaissances disciplinaires (ou pluridisciplinaires pour les professeurs des écoles) soit maintenu. On ne peut pas brader la formation de nos enseignants. On ne peut pas accepter que nos enfants n’aient pas face à eux des enseignants qui aient des connaissances solides et les capacités de les transmettre. Une formation universitaire de qualité est ce que nous devons à nos futurs enseignants. Elle ne peut pas se limiter à une licence suivie d’un master uniquement pratique. Cela vaut pour la formation des enseignants du premier et, plus encore évidemment, pour ceux du second degré. Nous serons très attentifs aux évolutions à venir et défendrons nos INSPE et la formation des enseignants qui y est dispensée.
Telles sont les ambitions des listes Au pluriel pour la politique de formation de notre université.
L’équipe Au pluriel
22 novembre 2024
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