International, vous avez dit international ?

« International » : tel est le cap que s’est fixé notre université pour 2030. Et pourtant, le dernier mandat nous a largement fait dévier de notre route. Sous les coups de rabot de celle que Michel Deneken a désignée pour lui succéder et qui conduit aujourd’hui les listes Inspire, la diversité internationale de notre communauté étudiante est aujourd’hui menacée. Une fois encore, l’université de Strasbourg a voulu être trop bonne élève. Elle a appliqué une disposition sans que la réglementation ne l’y contraigne encore. Résultat : l’introduction des « droits différenciés » dissuadent les bons candidats à nos masters, venant d’en-dehors de l’Union Européenne (UE), et mettent en difficulté celles et ceux qui se sont inscrits malgré tout. Les listes Au Pluriel proposent de poursuivre le formidable élan international de notre université, avec une visée moins solitaire et plus solidaire… et avec une approche responsable, raisonnable et ambitieuse de notre politique partenariale.

La politique actuelle des droits différenciés : un non-sens !

Que sont ces « droits différenciés » contre lesquels les listes Au pluriel ont pris position ? Il s’agit d’une disposition relative à la stratégie « Bienvenue en France », mise en œuvre depuis 2019 par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Dans un souci d’attractivité de la France, elle prévoit que les étudiantes et étudiants qui ne sont pas ressortissants de l’UE s’acquittent de droits considérablement plus élevés (en moyenne 15 fois plus !) s’ils viennent étudier en France en mobilité libre (i.e. hors convention bilatérale entre universités). Un décret ministériel autorise les universités à exonérer de ces droits une partie des étudiants dans la limite de 10% d’exonérations au total.

Dans son discours de rentrée du 12 septembre 2024, Michel Deneken a eu une belle formule en rappelant que les étudiantes et étudiants peuvent faire de leurs années à l’université « [leur] trésor ou [leur] tombeau ». Un trésor ou un tombeau ? C’est plutôt d’un gouffre qu’il s’agit ! En effet, depuis la rentrée 2024, les personnes disposant d’un passeport extérieur à l’UE doivent s’acquitter de frais d’inscription colossaux : 3 879 euros par année de master – y compris pour l’enseignement à distance (!) –, des frais à repayer (évidemment !) en cas de redoublement ou de réorientation. Il est vrai, des exemptions existent, pour les réfugiés, ou dans le cadre d’un accord d’échange, ou pour celles et ceux qui ont fait leur licence à Strasbourg et souhaitent intégrer un master de notre université. Mais ces exemptions sont insuffisantes : le ticket d’entrée en master reste à près de 4 000 euros. Pour les autres cas, notamment celles et ceux fuyant les dictatures ou la guerre mais ne disposant pas du statut de réfugié et pour tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases du dispositif d’exemption légale, la politique actuelle de notre université ne fait aucun geste. On lance un avis de recherche : si vous avez eu vent d’une demande de recours en exonération qui a été acceptée, n’hésitez pas à nous le faire savoir !

Une politique budgétaire qui cherche à combler notre déficit sur le dos des étudiants

Pourquoi un tel choix ? L’objectif est de capitaliser sur l’afflux de communautés étudiantes supposées fortunées en provenance d’Amérique du Nord et des BRICS* : le constat est que cette mesure laisse en-dehors toute une population particulièrement fragile, qui frappe à notre porte pour chercher le savoir, la culture et souvent la protection et la démocratie. L’université de Strasbourg est l’une des rares universités françaises à avoir fait le choix d’appliquer des droits différenciés**, officiellement pour réguler le nombre d’étudiants bénéficiant d’exemptions aux droits d’inscription. En réalité, rien dans la loi ne l’exigeait aussi tôt. En 2023,
lorsque le CA du 26 septembre a pris la décision de mettre en œuvre le droits différenciés, le taux d’exonération de 10% autorisé par décret n’était pas encore dépassé. D’autres universités dépassent pourtant ce taux et n’appliquent pas la directive. Frédérique Berrod, vice-présidente aux finances, et Alexandra Knaebel, vice-présidente à la formation et aux parcours de réussite, qui ont porté le projet, ont donc délibérément fait un choix que la réglementation ne leur imposait pas. C’est leur manière de concevoir une grande université internationale. Les voix d’Irini Jacoberger, vice-présidente Europe et International, dont c’est pourtant le portefeuille, et de notre candidat Mathieu Schneider, engagé au niveau national pour la cause des réfugiés, n’auront pas suffi à infléchir la position de l’équipe. Quelles en ont été les conséquences ? Les candidatures hors UE en master ont chuté de 40%. Compte tenu de la forte sélection à l’entrée en master, ce sont de bons étudiants, qui contribuent à la diversité culturelle de nos parcours et à leur enrichissement, dont nous nous sommes privés. Ce sont aussi potentiellement de futurs doctorantes et doctorants qui sont allés faire leur master ailleurs et qui ne reviendront sûrement pas chez nous en thèse. Où est la grandeur ? Où est la prétendue « attractivité » ? On nous rétorquera que nos masters sont pleins (rien d’étonnant au vu du taux de pression très élevés). Mais en réalité, il n’y a que de la petitesse à vouloir être les meilleurs élèves du ministère. Et il n’y a de grand que le triste remplacement que cette politique implique : celui des étudiantes et étudiants hors UE par des Français et des Européens.

Bientôt des coupe-files « business » pour étudiants fortunés ?

Mais le pire est à venir. Que demanderont les étudiantes et étudiants qui ont payé 3 879€ ? Assurément des services à la hauteur de ce qu’ils ont payé : des coupe-files, des repas de meilleure qualité, des logements plus spacieux… On devra bientôt installer une file « Business » et une autre « Low cost » dans les services de scolarité. Est-ce vraiment l’université que nous voulons ?

Des solutions légales existent

La loi reste la loi et il ne s’agit pas de s’y soustraire. Mais l’application actuelle des droits différenciés est injuste et mal pensée. Si on est au-dessous des 10% d’exonérations en comptant tous nos étudiants extra-communautaires, ces droits n’ont pas lieu d’être – factures de chauffage à payer ou non. S’il faut les mettre en place, alors assumons nos valeurs et ne cédons pas à la discrimination ! Elles ont un prix certes, mais ce prix mérite d’être payé. Nous pourrions par exemple mettre en place un système de bourses qui nous permette de faire venir des pays de régions « stratégiques » pour nous, le Japon ou la zone euro-méditerranéenne par exemple, et qui compense le surcoût des frais différenciés. Avec un paiement échelonné dont la première échéance en septembre correspondrait au tarif d’inscription courant en master et un versement de la bourse dans la foulée, l’étudiant n’aurait même pas besoin d’avancer les frais.

Des partenariats à réinterroger : le cas de l’UFAZ

L’internationalisation n’est pas seulement une opportunité : elle est aussi un engagement. Ainsi, notre quête de partenariats nous pousse à nouer des alliances dont la légitimité doit être évaluée au regard de l’évolution de la situation internationale. L’Université Franco-Azerbaïdjanaise (UFAZ), fondée en 2016, en est un excellent exemple. La communauté étudiante venue de Bakou constitue désormais la deuxième nationalité extra-communautaire présente en master dans notre université. Entre-temps, le régime d’Ilham Aliyev, élu depuis 2008, n’a fait que durcir son caractère autoritaire et sa diplomatie. Il a été soutenu par la Russie dans le cadre du conflit sanglant au Haut-Karabakh (là où la France a soutenu l’Arménie attaquée). S’il était d’ores et déjà douteux de faire financer des formations où interviennent nos collègues par un régime où les opposants politiques et les personnes homosexuelles sont très fortement réprimées, il est devenu plus délicat de continuer la coopération depuis que l’Azerbaïdjan est devenu un pays hostile à la France (voir les récents développements diplomatiques autour de la COP29). Force est de constater que ce partenariat qui n’a jamais correspondu à nos valeurs ne correspond plus non plus aux orientations diplomatiques de notre pays. Il est donc temps d’en questionner l’intérêt et d’en réviser les modalités. On ne peut pas, dans un « en-même temps » trop facile, aller soutenir Pınar Selek dans le bras de fer juridico-politique qui l’oppose au régime d’Erdoğan et partager une université avec son allié Aliyev. Au-delà de ce cas qui interroge, c’est aussi une question de pilotage stratégique : les partenariats doivent répondre à un intérêt scientifique réciproque. Cette question mérite aujourd’hui d’être approfondie et débattue. Nous ne souhaitons pas la trancher a priori, car elle engage de nombreux collègues qui s’impliquent fortement depuis des années. Mais une discussion de fond sur ce partenariat azerbaïdjanais et sur tous ceux qui impliquent aujourd’hui des financements étrangers ou qui touchent à des questions de sécurité et de diplomatie s’impose.

Reposer les bases d’une stratégie internationale

Que ces propos ne trompent pas ! Les listes Au pluriel revendiquent une politique internationale forte et responsable, une politique qui s’appuie sur des partenariats choisis et renforcés, sur des mobilités physiques d’étudiants et de personnels qualitativement meilleures et bien choisies et sur une communauté universitaire soudée dans sa diversité. Cela suppose d’en créer les conditions. Tous les personnels ont la possibilité de participer à une staff week et c’est heureux : mais qui en profite, alors que nombre de nos services sont sous-encadrés et qu’il est davantage question de terminer ses dossiers le week-end que de quitter son poste de travail pour voir comment on fonctionne à l’étranger ? On encourage les thèses en cotutelle, mais la plupart des projets se heurtent à des difficultés bureaucratiques trop nombreuses : à quand l’allégement des procédures ? L’université défend le plurilinguisme (même si de nombreuses formations en langue sont en réalité menacées), mais qui a le temps de se former à de nouvelles langues qui lui permettraient de saisir la chance que représente l’international ? Comment développer l’offre de cours en anglais, voire des diplômes en langue étrangère, si le temps supplémentaire de préparation de ces enseignements n’est pas pris en compte dans le service ? De même, les partenariats sont évidemment encouragés, mais au sein d’une politique qui mise sur le réseau plutôt que sur les échanges bilatéraux, injectant une grande complexité administrative là où nos collègues veulent d’abord avoir des contacts fructueux avec leurs homologues étrangers et en rapporter les bénéfices concrets dans leur recherche ou dans leur enseignement. Au sein de notre collectif, la réflexion sur l’internationalisation est articulée à la volonté de faire respirer l’université, de donner à chacun le temps de se former, de nouer des contacts, de s’ouvrir à l’autre pour mieux enrichir son expérience. Bref, il est grand temps de mettre l’internationalisation au service de toutes et tous et de la penser dans un monde qui est en profond changement. Vous découvrirez bientôt toutes nos propositions concrètes dans notre programme qui sortira le 10 décembre.

9 décembre 2024

L’équipe Au pluriel

* BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

** En 2023, l’AEF en dénombrait seulement 13 universités qui les appliquaient complètement.

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